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19 décembre 2013

Flash-ball et responsabilité sans faute de l’Etat

Le Tribunal administratif de Paris indemnise une victime d’un tir de flash-ball de la police, en relevant d’office la responsabilité sans faute de l’Etat sur le fondement de l’article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales (nouvel article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure). Jugement du 17 décembre 2013. Jugement devenu définitif.

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M. C. a été blessé alors qu’il était sur la place de la Bastille lors de la fête de la musique le 21 juin 2009. Un rapport d’expertise médicale et balistique a conclu que la blessure était caractéristique d’une balle de défense tirée par un flash-ball, sans toutefois exclure catégoriquement qu’il puisse s’agir d’un autre projectile. Au vu de ce rapport, des documents relatifs aux interventions des sapeurs-pompiers et des fiches d’utilisation des flash-balls établies par les policiers ayant tiré, le Tribunal a estimé que la blessure de M. C était imputable à un tir de flash-ball de la police.

Le Tribunal relève ensuite que les policiers ont fait usage de ces armes dans le cadre d’une opération de maintien de l’ordre public et alors qu’ils étaient victimes de jets de projectiles et menacés par un groupe armé de bâtons. Il retient également que M. C ne participait pas à cet attroupement, au sein duquel il avait été involontairement pris.

C’est dans ces conditions, qu’après avoir soulevé d’office la responsabilité sans faute de l’Etat s’agissant d’un moyen d’ordre public dont les parties avaient été informées au préalable, que le Tribunal a fait application, pour condamner l’Etat à indemniser M. C des dommages subis, du régime légal de responsabilité sans faute de l’Etat du fait des dommages résultant des attroupements et des mesures prises par l’autorité publique pour le rétablissement de l’ordre public prévu à l’article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales (nouvel article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure).

Le Tribunal a ainsi implicitement écarté la responsabilité pour faute simple retenue en cas d’usage d’arme exceptionnellement dangereuse (arme à feu), ainsi que le régime de responsabilité pour faute lourde retenue en cas d’agissement fautif caractérisé de la part des policiers.

En conséquence, le Tribunal indemnise M. C des préjudices en lien direct avec le tir, dans la mesure où ils ont été justifiés.

Tribunal administratif de Paris, 17 décembre 2013, M. C., n° 1217943/3-1

 

 

Décision

Le tribunal administratif de Paris

(3ème section - 1ère chambre)

N° 1217943/3-1

___________

M. C
___________

M. Doré

Rapporteur
___________

M. Bourgeois

Rapporteur public
___________

Audience du 3 décembre 2013
Lecture du 17 décembre 2013
___________

49-04-02-03
60-02-03-01-01
C

 

Vu la requête, enregistrée le 9 octobre 2012, présentée pour M. C , par Me Noël ; M. C  demande au Tribunal :

1°) de condamner l’Etat à lui verser une indemnité totale de 33 600 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis en raison d’un tir de balle de défense par les forces de police sur la place de la Bastille à Paris à l’occasion de la fête de la musique le dimanche 21 juin 2009 au soir ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat les frais d’expertise ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

 

Il soutient que :

 

En ce qui concerne la faute :

-     il a été blessé par une balle de défense tirée par un policier lors d’une manifestation place de la Bastille à Paris, le 21 juin 2009 ;

-     le lanceur de balle de défense est une arme dangereuse, présentant des risques exceptionnels, lorsqu’il est utilisé dans le cadre d’un rassemblement sur la voie publique ;

-     le régime spécial de responsabilité du fait des armes dangereuses est donc applicable ;

-     les forces de l’ordre n’ont pas procédé aux sommations préalables prévues par l’article 431-3 du code pénal ;

-     l’usage de la force était injustifiée et disproportionnée ;

 

En ce qui concerne les préjudices :

-     Ayant reçu le projectile au niveau de la joue gauche, sa mâchoire a été fracturée et il a eu des lésions dentaires entraînant une incapacité totale de quarante cinq jours, une incapacité permanente de 1 %, un préjudice esthétique estimé à 3 sur 7 et des souffrances endurées à 2 sur 7 ;

En ce qui concerne le lien de causalité :

-     alors que la cicatrice est de forme circulaire avec un aspect de brûlure, l’expert estime qu’elle est compatible avec un projectile de lanceur de balle de défense et les témoins attestent que les policiers ont utilisé de telles armes ; que d’autres personnes ont été victimes de ces projectiles ;

Vu l'ordonnance en date du 27 janvier 2011 faisant droit à la demande de M. C  et ordonnant une expertise ;

Vu le rapport d’expertise de MM. Vézier et Jacquet ;

Vu l'ordonnance de taxation en date du 14 novembre 2011 liquidant les frais d'expertise à la somme totale de 7 193,96 euros mise à la charge de M. C ;

Vu la mise en demeure adressée le 15 février 2013 au préfet de police, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu l'ordonnance en date du 11 juillet 2013 fixant la clôture d'instruction au 31 octobre 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu la lettre du 30 août 2013, informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2013 :

- le rapport de M. Doré,

- les conclusions de M. Bourgeois, rapporteur public,

- et les observations de Me Noël, pour M. C ;

Sur la responsabilité de l’Etat :

1. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, alors applicables et transférées depuis à l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : « L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. / Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée » ; que l’application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ou des mesures prises par l’autorité publique pour le rétablissement de l’ordre ;

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. C a été blessé à la joue alors qu’il était sur la place de la Bastille, le 21 juin 2009 au soir et qu’il a été pris en charge par les sapeurs-pompiers à la suite d’un appel passé à 00 h 05 ; qu’il ressort du rapport d’expertise médicale et balistique susvisé que la blessure de l’intéressé est « compatible » avec une balle de défense, sans que les experts ne puissent exclure tout à fait d’autres projectiles arrondis ; que la préfecture de police a soutenu, dans sa décision de rejet de la réclamation préalable du requérant, que les forces de l’ordre n’avaient fait usage de lanceurs de balle de défense qu’à 00 h 30 et a produit à l’appui de cette affirmation les fiches d’utilisation établies par les policiers, qui figurent dans le rapport d’expertise susmentionné ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier et notamment des fiches d’intervention des sapeurs-pompiers, que ceux-ci sont intervenus à deux autres reprises après des appels de personnes se disant victimes de balle de défense, à 00 h 03 et 00 h 29 ; que, dans ces conditions, compte tenu en outre des témoignages des amis du requérant, celui-ci doit être regardé comme établissant avoir été blessé par une balle de défense tirée par un policier ; 

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment des fiches d’utilisation de lanceurs de balle de défense établies par les policiers que, chargés d’assurer l’ordre public au cours de la manifestation, ils étaient victimes de jets de projectiles et faisaient face à un groupe armé de bâton ; que de tels faits, non prémédités, constituent des délits commis par violence par un attroupement ; que les conditions d’applications de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales alors applicables sont ainsi réunies ; que M. C fait valoir, sans que cette affirmation ne soit contredite par les pièces du dossier, qu’il ne participait pas à cet attroupement, au sein duquel il avait été involontairement pris ; qu’ainsi, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les moyens de la requête, il est fondé à demander l’indemnisation de ses préjudices ;

 

 

Sur les préjudices :

4. Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise, que M. C a souffert d’une fracture de la mâchoire, de plusieurs plaies sur la joue et d’une fracture et d’une fêlure à deux dents, à l’origine notamment d’une incapacité temporaire partiel de quarante cinq jours et d’une incapacité permanente partielle évaluée à 1 % ; qu’il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d’existence en découlant en les évaluant à la somme de 3 000 euros ;

5. Considérant qu’il sera également fait une juste appréciation des souffrances physiques endurées par M. C, évaluées par l’expert médical à 3 sur 7 et de son préjudice esthétique consécutif à une cicatrice sur la joue, évalué à 2 sur 7, ainsi que de son préjudice moral en condamnant l’Etat à lui verser à ce titre la somme de 3 800 euros ;

6. Considérant enfin que les dépenses de santé futures de M. C peuvent être évalué à la somme de 1 100 euros correspondant au devis pour la pose d’un implant dentaire produit au cours de l’expertise susvisée ; que l’Etat est par suite tenu de verser cette somme au requérant ;

 

Sur les frais d’expertise :

7. Considérant qu’aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. L’Etat peut être condamné aux dépens » ;

8. Considérant qu’il y a lieu, en vertu de ces dispositions, de mettre à la charge de l’Etat les frais de l’expertise ordonnée par le juge des référés et liquidés et taxés, par décision en date du 14 novembre 2011 liquidant les frais d'expertise à la somme totale de 7 193,96 euros ;

 

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. C et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’Etat est condamné à verser à M. C une somme de 7 900 euros.

Article 2 : Les frais d’expertise sont mis à la charge de l’Etat.

Article 3 : L’Etat versera à M. C une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C, à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen et au ministre de l’intérieur.

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